Dans la nuit du 5 au 6 juin 2018, Pol Dokui, prolixe animateur de radio, rangeait définitivement son micro au pays du roi résistant, Béhanzin. Sans haine. Sans violence. Oh, certainement sans haine. Homme débonnaire qu’il a été. Émérite animateur, chevronné homme de radio, Pol Dokui fait partie de la short liste des meilleurs animateurs de radio que la Côte d’Ivoire ait connu. Les auditeurs les plus avertis de son temps disent même qu’il était le meilleur de sa génération. Il est le meilleur de sa génération, et il le restera encore longtemps. Saluons ici pour une fois au moins la mémoire de ce monstre sacré du micro.
Revenu de sa formation en Europe, Pol Dokui mettra tous les auditeurs d’accord sur ses qualités d’animateur de radio, avec des atouts incrustés dans l’ivresse du naturel. Culture de radio. Voix chaude ensoleillée. Aisance oratoire devant le micro. Tchatche fluide et facile. Humour à fleur de peau. Art de la dérision. Jovialité contagieuse. Gaité perpétuelle, même les jours des plus maussades et tristounets. À son contact, impossible de ne pas être contaminé par cet homme débonnaire, toujours en perpétuel état de bonne humeur.
Djamo Djamo, Apéritif Concert, Centre d’Intérêt, Le Meilleur Samedi, Piédestal (qui deviendra par la suite Radio Vacances), Deux millions de jeunes, Le plateau Dokui, Mythes et Mystères, Les Choses de la Nuit, Toukpê… Autant d’émissions que Pol Dokui aura inspirées, conçues, initiées et animées avec brio pour le bonheur des auditeurs de Radio CI, et bien plus tard, de Fréquence 2.
Des émissions passionnantes
À l’émission Centre d’Intérêt du dimanche, de 10h à 12h, Pol ouvrait le micro à des invités de haut vol et de haut rang. Notamment des DG de notre Administration publique, et très souvent des Ministres de notre République, pour des débats très animés sur les questions d’actualité de leur secteur d’activité. À cette émission, Pol Dokui avait l’art des questions coups-de-poing pour nos roitelets-gouvernants de l’époque. Des questions qui titillaient, fâchaient et décontenançaient parfois et trop souvent, « les grands patrons ». De « tout-petits-princes » de l’époque, reptilisés, biberonnés à la pensée unique, trop souvent coupés des réalités, et qu’il ne fallait surtout pas contrarier. Mais des questions qui avaient le mérite d’éclairer l’opinion publique sur la gestion des affaires publiques.
Dans les années 80, avec le trio Pol Dokui – Macy Domingo – Paul Kouamé, Le Meilleur Samedi (10h-12h) était le must de notre radio encore en modulation d’amplitude. Le souvenir de cette émission restera le générique, Down Under, du groupe australien Men At Work, qui a fini par se graver dans la mémoire des auditeurs pour le rendre célèbre. Aujourd’hui en CI, à l’entame de ce titre, des ondes mélancoliques envahissent nos âmes, nostalgie des belles années radiophoniques, souvenir des moments fastes de Radio CI.
Certes son aisance à l’antenne était fascinante. Mais Pol faisait aussi la différence avec sa sélection musicale lors de ses émissions.
Que dire de Piédestal qui deviendra par la suite Radio Vacances. Piédestal était à la radio, ce qu’était Podium de Ful à la télé. Pol Dokui aura l’ingénieuse idée d’y imposer des musiques de nos traditions. On se souviendra de ‘’Tabou lè gnagne’’ des Kroumen de Tabou. On se rappelle de ‘’Zio méreni’’ tiré de la musique traditionnelle mahouka de Touba. Cette édition fut remportée par l’orchestre de Soubré et son lead vocal qu’on découvrait, un certain… François Kency. On a encore en mémoire cette fameuse mélodie, ‘’Akémhondey’’, de la grande cantatrice Wè de Toulepleu, PEHE Dèwè Rose, et son rythme, le Kédjoué. L’on se rappelle aussi le titre Fangasso de Toton Etienno…
Fréquence 2, c’était aussi Pol Dokui
Pol Dokui fut l’un des grands artisans de l’avènement de Fréquence 2. Il milita pour le recrutement des JC Kodjané, Biram Diawara, Consty Eka, Jean-Paul Sven Atéméné, Papous Kader, John Jay… Il donnera carte blanche à Yves Zogbo pour assurer l’encadrement de ces Dee Jay (pour la plupart), dans leur quête de la technique d’animation radiophonique afin de les mettre au diapason. Ce fut une réussite. Et depuis 1991, l’aventure de Fréquence 2 continue.
Excellent polémiste, et aiguillonné par la curiosité journalistique, il ne fallait surtout pas lui dire « Pourquoi ». Il vous retorquera « pourquoi pas ». Avec son art de l’ironie et de la polémique, il inventera l’émission Mythes et Mystères, pour mettre en valeur nos croyances, notre civilisation immatérielle, notre cosmogonie, avec ses mages, ses voyants, en un mot la spiritualité africaine, avec ses Komians et … ses sorciers.
L’émission Les Choses de la Nuit, qu’il créera dans l’anonymat et dans l’indifférence totale, un soir sur Fréquence 2, de 22 h à minuit, deviendra aussi un autre must hebdomadaire de la « FM leader », allant jusqu’à saturer les lignes d’appel téléphonique de la radio, les soirs de jeudi.
Assurément, ce monstre sacré du micro transformait en succès tout ce qu’il touchait à la radio. Aujourd’hui également, le générique de cette émission finement coquine, Falal Nha Amigo, du groupe Cabo Verde Show de Manu Lima, est un hit en CI parce que Pol Dokui y aura touché. Avec lui, on n’écoutait pas la radio, on la regardait.
Le concours Awoulaba, c’est bien Pol Dokui
En dehors du micro, Pol Dokui dirigera le Comité Miss Abidjan en 1993, portant jusqu’à la consécration nationale, AKA Lydie, élue Miss C.I 93. Mais il s’ennuiera très vite à Miss CI. Il inventera alors de toute pièce le concours Awoulaba pour magnifier la beauté de la femme africaine.
Il était certes déjà parmi les meilleurs. Formé et nourri à la sève des ondes pures de la pratique radiophonique, il demeurera parmi ce qui s’est fait de mieux en matière de produit achevé de ce media chaud. Mais la vie de Pol Dokui n’aura certainement pas été un long fleuve tranquille.
La parole orthogonale
Toujours gai et joyeux, Pol Dokui n’était pourtant pas un adepte de la langue de bois. Loin de lui l’Être rampant et soumis. Avec humour et ironie, il a toujours refusé la stature courbée et herbacée. Pol a toujours gardé pour lui sa parole orthogonale, avec parfois des angles à 45° ou 90°. Dokui est toujours resté arc-bouté sur sa colonne vertébrale, loin d’une communication et d’une attitude contorsionnistes, sinusoïdales et amibiennes. Cette posture lui vaudra de nombreuses suspensions d’antenne, voire de salaire. Ce fut son lot quotidien. Mais comme le sphinx, il renaissait toujours de ses cendres. Il se remettait à l’ouvrage. Et il revenait avec de nouvelles inspirations. Et il charmait encore plus fortement les auditeurs. Parce que Pol Dokui respirait la radio. Pol Dokui, c’était la radio faite homme.
Même dans ses derniers retranchements, l’homme avait pour ambition de créer sa radio en ligne pour rayonner sur le paysage radiophonique. Il avait foi en cet ultime projet… Certains l’on qualifié de propagandiste. Propagandiste, non. Homme de conviction, oui.
Depuis le 6 juin 2018, l’un des meilleurs produits radiophoniques de la Côte d’Ivoire a éteint son micro, l’a débranché… et l’a rangé dans les moments sombres d’Eburnie. Pour presque rien.
Il a accepté contre son gré de retourner à Péhékanhouébli, où le 18 août 2018, il retrouva la terre de ses géniteurs pendant que sonnaient les cloches de 12 heures. Là-bas, la paix éternelle retrouvée, il a dû rallumer son micro. Pour la radio de ses ancêtres.
Encore une autre vie d‘une valeur sûre enfouie sous terre. Et un sentiment de gâchis tout de même…
Manu Waah
Bravo Manu, c’est superbement écrit et raconté. Très bel hommage à notre ami Pol Dokui.
Merci pour le rappel de souvenirs