Adjamé, dans les environs de l’Église Saint Michel. Le quartier Badjam. Ici les deux vedettes du quartier à qui veulent ressembler les jeunes vacanciers de Badjam sont les Frères Gbayéré. Ils font de la musique, on les entend à la radio, et ils passent à la Télé. Et c’est là que naquit le Pape Group.
Quand arrivent les vacances avec Podium 80 de Ful à la télé, des jeunes de Badjam décident d’y compétir aussi. Une argutie pour ressembler à leurs ainés, les Frères Gbayéré ? Ou réelle appétence pour l’art musical ? Una aut altera, le virus de la musique était en sous-location dans l’âme de ces jeunes mecs…
ET LE PAPE ARRIVA, ET LE PAPE GROUP FUT CRÉÉ
L’année 1980 sera couverte du saint manteau pontifical, avec l’arrivée pour la première fois en Côte d’Ivoire du successeur de Saint Pierre à Rome. Le charismatique vagabond du Christ, le Pape Jean Paul 2. Ces jeunes du quartier Badjam d’Adjamé St Michel ne chercheront pas loin. Et pour se nicher sous les bons auspices du Miséricordieux, le groupe s’appellera donc le Pape Group…
Pour la postérité, les membres du Pape Group auront comme leader, à la guitare solo, Louis IBO dit Loulou. Le gaucher AKPA Paul dit Assana Gogan, tiendra de la main gauche, les grosses cordes de la guitare bass. Les chœurs étaient assurés par Claude IBO, et Josué MOBIO, calé lui devant le micro, dans une posture à la Johnny Halliday. La percussion sera assurée par Hilaire. La batterie était tenue par ADJOUSSOU Jean-Pierre dit Ben Clap, qui se retrouvera plus tard au sein de Woya. La guitare rythmique était tenue par l’un des benjamins du groupe, un certain David MOBIO, frère cadet de Josué MOBIO, l’autre choriste du groupe. La suite est sue de tous, David MOBIO deviendra plus tard l’un des célèbres Présentateurs du JT de 20 heures du tube cathodique de la Maison bleue.
Le lead vocal n’était autre que Sylvain Gbayéré, le cadet des Frères GBAYÉRÉ. En ce temps-là, tous les mélomanes disaient de Sylvain Gbayéré qu’il avait le timbre vocal d’orfèvre du numéro 1 de l’époque de la musique ivoirienne, Spinto Bailly. À l’époque, c’était assez flatteur. Car être comparé à cette époque à Gallé Bailly Sylvestre dit Bailly Spinto, qui incarnait le parangon de la voix de rossignole, c’était à la limite lénifiant, ou presque.
Pour l’anecdote, lors de la finale de Podium 81, Ful avait « osé » tenter la comparaison en titillant Bailly Spinto, présent à l’émission. Mal lui en avait pris. Spinto a vertement répondu en direct à Ful en disant que « lui, a beaucoup travaillé pour en arriver là. Qu’il ne suffit pas de pousser les vocalises pour atteindre son niveau. Et que par conséquent, ce jeune (Sylvain Gbayéré) devra encore travailler… ». Avec le rire jaune et coquin dont on lui connait, Ful avait vite fait de passer à autre chose, mais la petite gêne était bien perceptible dans le studio…
MARCELLIN YACÉ ÉTAIT DE CETTE AVENTURE
Bref, il fallait maintenant trouver un organiste pour tenir le clavier, et il y en n’avait pas de bon au sein du quartier St Michel d’Adjamé. C’est ainsi que lors d’un de ses nombreux pointages à Cocody, Loulou le soliste du groupe fit la connaissance d’un certain… Marcellin YACÉ. Encore inconnu du grand public, Marcellin Yacé intégrera le Pape Group en 1980, pour une merveilleuse et fabuleuse odyssée, faisant tanguer le bateau ivre de la Maison bleue de Cocody, à travers Podium 80 et Podium 81.
Lors de la finale de Podium 81, Marcellin YACÉ fit des merveilles. Pendant l’exécution d’un de leur titre, il passa de l’orgue à la flute traversière avec une dextérité largement au-dessus de la norme. C’est cette nuit-là qu’un des membres du jury l’inscrira sur ses tablettes. Ce membre du jury n’était autre qu’un certain François Konian. La suite de l’histoire, on la connait…
Pour préparer Podium, place aux répéts au Centre Culturel de Treichville sur de vrais instruments gérés par le musicien Richard ABADI. Chez lui, une heure de répétition était facturée à 1 500 francs. Pour le groupe, il fallait chaque fois trois heures de répétition qui coutaient 4 500 francs. Réunir cette somme à cette époque n’était pas une sinécure pour ces jeunes qui étaient tous des élèves.
LA PETITE COLÈRE DE FUL…
Lors d’une séance de présélection, l’un des membres du groupe réussira l’exploit « d’écorcher » le grand Ful, lui la grande vedette de notre Télé, lui si vénéré en ce temps-là par le monde des artistes du pays. L’orchestre en place attendait que Ful leur donne le top départ. Ful qui se faisait natter les cheveux par une demoiselle au cours de cette séance de présélection, attendait lui aussi que l’orchestre se mette à jouer. N’entendant rien, il leur hurla : « Mais qu’attendez-vous ? Jouez donc ». Et l’un des membres de répliquer, un peu énervé « Mais c’est pour ça que nous sommes là ». Le regard furax à cet instant du grand Ful envers le groupe en disait long sur cette « défiance » à son aura…
Pour la tenue de scène, le Pape Group optera pour des hauts en filet confectionnés par un Couturier de Treichville. C’était la tenue de scène des Bozambo, lors de leur passage à Abidjan, en 76-77. Le Batteur Ben Clap–
DE LA SALLE D’HOSPITALISATION À PODIUM
En 1981, ces jeunes Élèves du quartier Badjam d’Adjamé St Michel étaient comme tous les jeunes de leur âge, dans la verticalité de l’insouciance juvénile. L’écume de la rage musicale, ils l’avaient sur les babines. Et ils étaient prêts à tout pour cette passion musicale. Rendez vous bien compte : quelques jours avant leur passage à une manche de Podium 1981, le bassiste du groupe, AKPA Paul dit Assana Gogan, se fait opérer à la gorge et est hospitalisé au CHU de Cocody. Le groupe est dans l’embarras. Le jour du passage du groupe à Podium 81, ses amis réussiront l’exploit de le soustraire en cachette de sa chambre d’hospitalisation, et ce sans autorisation du corps médical, pour qu’il puisse jouer à Podium. On lui porte un col roulé pour cacher son pansement, il joue avec le groupe en direct à la télé, et le groupe se qualifie pour la finale. Seulement qu’après leur passage, le vigile de la Télé se présente et demande à voir qui est Assana Gogan. Il annonce au groupe que des parents très furax qui ont suivi l’émission depuis leur domicile, sont retenus au portail de la Télévision et attendent de pied ferme leur progéniture qui était censé être en salle d’hospitalisation, au CHU de Cocody. Panique à bord. Ce fut la débandade au sein du groupe…
Au sortir de la finale de 80, le groupe fut reçu en grande pompe au quartier Badjam par les parents qui leur offriront une grande fête. Classé 3ème, le Pape Group percevra 500 000 f du Président Houphouët et et une guitare. A l’époque, c’était pas mal comme récompense….
UNE BELLE PROMESSE DANS L’ABYSSE…
Mais cette belle histoire du Pape Group connaitra une triste fin avec la tragique disparition du lead vocal, Sylvain Gbayéré. Le cadet des Frères Gbayéré, que l’on voit ici interpréter l’excellent titre Jésus, aura vécu à la vitesse d’un météore. Il perdra la vie au cours d’une baignade, dans l’abysse de la mer de Modest. Le ventre mou de la mer l’ayant retenu à jamais. Et jamais il ne le rendra. Plus jamais le corps de Sylvain GBAYÉRÉ ne sera retrouvé. Et donc plus jamais on n’entendra cette belle promesse de voix…
Comme le disait Josué Mobio, choriste du Pape Group, « Nous étions devenus des stars car nous sommes passés à la télé, et en plus nous avons parlé avec Fulgence Kassy. À l’époque, c’était quelque chose » …
Manu Waah