Notre Télé, celle de nos parents, la Télé du Vieux, a connu ses vedettes, et non des moindres. Ces visages connus, entre autres, Mamadou Ben Soumahoro, GTB, Jésus Kouassi Yobouet, Léonie Gnaly, RFK, Claude Marcel Bosso, BIZ… Monde fait de strass et de paillettes. Mais derrière ce décor, des travailleurs de l’ombre qui ont bâti eux aussi notre Télé. Visages inconnus, certes. Mais des noms mythiques de par la magie des déroulantes des génériques de fin d’émission. Modeste Sockaud, Sefon Dramane, Aldo Moro, Yapobi François, Marcelin Tangny, Méité Momi Bebson, Mathurin Kadjé, Dackoury O. Ignace, Djè Pascal, Victor Nadjé, Jeff Aka, Dago Joseph, Blaise Pamphile, Cissé Himaj, Benjamin Kiefolo, Barry Abdoulaye Carlos…
De cette ombre, Ousmane Dindané, autre visage inconnu, autre travailleur de l’ombre de la Télé du Vieux, Courageusement, et à coup de plume trempée dans l’encre de l’humilité et de l’abnégation, ce dessinateur, concepteur et maquettiste accompli de décors d’émission télé sort de l’ombre. De l’ombre à la lumière. Ombre et lumière, pour exposer à notre curiosité, et à travers ce livre, un pan de sa vie. Mais aussi la vie intrépide des coulisses de l’arrière de notre Télé, la Télé du Vieux. Sous nos tropiques, le premier quidam dirait « un simple dessinateur sans salaire » qui a fini par écrire un livre. Quel courage ! Comme pour dire que rien n’est impossible à celui qui croit en ses capacités. Leçon d’une vie. Et à dessein…
La substantifique moelle de ce livre s’articule autour de deux axes relatant chacun les deux batailles épiques qu’aura livrées cet amoureux des Beaux-Arts. La première bataille était de convaincre son Vieux, le Vieux musulman, quant au métier de son choix : être dessinateur (sous nos Tropiques). Kutubu !!! La seconde bataille, être définitivement embauché à la RTI, avoir ce statut d’Agent de la RTI et non celui de Collaborateur extérieur. Dans les menus détails, Ousmane Dindané explique comment sa passion pour le dessin et sa fascination pour le tube cathodique l’ont poussé dans cette aventure bifide de la Télé, après une rude et âpre bataille psychologique avec son géniteur. Un père à l’africaine, dont la conception de l’éducation est d’une rigueur implacable.
Lui le Vieux, musulman pieux convaincu, ne pouvait en aucun cas s’imaginer que le dessin puisse être un métier. Pour lui c’était clair : pas de dessinateur dans la famille. Pire, sa grande dévotion à Allah l’emmena, comme l’explique son fils, à penser que les Arts dans leurs diversités seraient des « symboles sataniques et maléfiques ». Safroulaye ! Opposition farouche du Vieux. Entêtement de l’adolescent à suivre sa voie. Réunion de famille convoquée par le Vieux pour s’en laver les mains. Non sans avoir accusé de complicité d’avec le fils rebelle, la pauvre Vieille. Les larmes ont coulé. Hémorragie oculaire. D’une mère pour son fils. Obstination du fils à prendre ses responsabilités et à assumer son choix. Jusqu’au bout.
Ce livre en est une illustration parfaite, après une belle carrière enrichissante, toujours en cours à la Télé. Mais pour en arriver là, que de péripéties ! Que de galère ! Avec ce statut hybride, tantôt d’Agent temporaire, tantôt de Journalier, tantôt de Collaborateur extérieur, Ousmane Dindané et ses amis travailleurs de l’ombre de la Télé en ont souffert durant des années. Ils auront été abusivement exploité avec ce travail au noir, sans salaire, pour que brille notre Télé. Ils n’avaient pour seule motivation que la passion du métier pour la Maison Bleue et… leurs badges estampillés RTI.
Sa première grosse somme perçue au noir après des mois de dur labeur sera de 5000 f, et ce, grâce à cet autre autodidacte, vigile à la Télé devenu cameraman pro, Souleymane Yamwemba… Et après un an à se casser le dos au boulot, il percevra enfin son premier cachet en septembre 1982. Trois mois d’indemnités forfaitaires, en raison de 40 000 f par mois, soit 120 000 f ! Avec cette somme, c’est le premier bélier de la Tabaski offert aux siens, puis une répartition symbolique de ce premier salaire à l’imam du quartier, au parrain de la Télé, Camara Mamadou, et aux deux géniteurs. Le Vieux lui remettra en retour 15 000 f… pour boucler son mois…
Le charme de ce livre, ce sont aussi les anecdotes (pas assez à notre goût) cocasses de l’arrière du décor de notre Télé, la Télé de papa en son temps. Notamment cet accrochage avec Ful qui avait manqué d’humilité à son égard, pour finalement devenir un de ses « bon gars ». Que dire de Feu Ziza Bernard, dont la femme avait rejoint le domicile des parents car le mari avait été retenu toute la nuit au boulot. Il aura fallu un justificatif écrit du Directeur des programmes, le grand Koffi Yobouet himself, pour sauver ce ménage…
Que dire aussi de cette scène au cours de laquelle le preneur de son, Noël Gnagno, lors d’une répétition de l’ORTI, fut excédé par la pression exercée par le Directeur Central Mamadou Ben Soumahoro. Waraba se plaignait intempestivement de la modulation du son des castagnettes inaudible à ses oreilles, ordonnant sèchement au technicien d’arrêter de « mâchouer » du chewing-gum. Réponse de Noël Gnagno, du tic au tac : il invitera le grand Waraba à venir faire le travail à sa place, s’il en était capable. Le grand chef Ben Soumahoro sortira de la régie B surchauffée en claquant la porte. Et vlan !!!
De l’arrière du décor, et derrière les pupitres et autres cameras, ces techniciens de l’ombre avaient l’art de la dérision pour entretenir l’ambiance. Il fut un moment où ce fut la promotion de jeunes filles aux jupes courtes dans différents services. Les mecs diront que la Télé est désormais « le lycée jeunes filles »… Le nouveau Directeur Kébé Yacouba mettait-il tout en œuvre pour que les Agents soient désormais payés dès le 25 du mois ? On le surnommera « Kébé 25 », comme pour lui dire merci… Le nouveau DRH, Feu Adou Gnamba, avait pour style vestimentaire les bretelles ? On le surnommera « Adou Bretelle »…
Bref, un livre dépouillé de toute fioriture qui se laisse lire. Ces bonnes feuilles relatent savoureusement l’arrière et parfois l’envers du décor de la Télé du Vieux, la Télé d’une certaine époque. C’est tout le mérite de l’auteur. Entré après le premier cycle du collège par le portillon de la Télé comme dessinateur, sans salaire durant des mois, pour finir comme Meilleur Décorateur en 2007, puis Chef de service Décor, et aujourd’hui Conservateur d’archives à la Maison Bleue. À la clé, ce sympathique livre. Avec des photos d’archive. Nostalgie des visages des hommes et des femmes qui ont fait notre Télé. En hommage à ses parents, à ses chefs, et à ses collègues d’infortune. Pour la Postérité. Ça, c’était la télé. La Télé du Vieux.